20 janvier 2010 - Bérengère SCHUH (FRA): "Mon but? Etre championne olympique"

Bérengère SCHUH (FRA): "Mon but? Etre championne olympique" Lausanne - 21 janvier 2010   A 25 ans, Bérengère SCHUH est la chef de file de l’équipe de France féminine d'arc classique. Championne du monde en salle en 2003, 2e en 2007 et 3e en 2009, elle est la détentrice du record du monde en salle avec 592 points. Après être devenue championne d'Europe de tir extérieur en 2008, elle a remporté la médaille de bronze avec son équipe aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008. Bérengère est l'une des grandes favorites du Tournoi de Nîmes qui débute vendredi.    Certains champions de tir en extérieur comme Romain GIROUILLE (FRA) ne se disent pas attirés par le tir en salle. Or, pour toi, c’est l’inverse: tu as été championne du monde de tir en salle à Nîmes en 2003, ton premier grand titre international chez les seniors. C’est à ce moment que tout a commencé pour toi? Oui. Ma carrière internationale a véritablement commencé à ce moment là, en 2003. Il ne faut pourtant pas oublier que j’ai été championne d’Europe cadette de tir extérieur en 1999, ça aussi ça compte! Sinon, mon palmarès s’est surtout construit avec des podiums réalisés sur des compétitions de tir en salle. Pourtant, depuis 2008 et mon titre de championne d’Europe en extérieur à Vittel, la donne à changé. Je n’avais jamais eu de résultats probants en extérieur avant ce titre, et le fait de devenir championne d’Europe m’a permis de me prouver que j’étais capable de faire des résultats dans les deux disciplines. Je crois aussi que c’est ce titre qui m’a permis d’être parmi les favorites en individuelle aux Jeux Olympiques de Pékin, et puis il y a eu la médaille de bronze par équipe avec les filles. Autrement dit, ce titre européen a été un déclic pour moi.   Faire partie des favorites dans les deux disciplines, cela te permet de te fixer de nouveaux objectifs? Bien sûr, surtout au tir en extérieur. Je voudrais remporter une médaille aux championnats du monde. Pas forcément l’année prochaine, mais au moins une fois dans ma carrière! Sans oublier une médaille aux Jeux Olympiques, évidemment. Comme ça j’aurais tout (rires)! Je sais que le niveau mondial est très élevé et qu’il l’est un peu moins au niveau européen. Quand je dis ça, je parle évidemment des athlètes coréennes et chinoises qui ne participent pas aux compétitions européennes. Pour revenir à l’expression « faire partie des favorites », je ne l’emploie que très rarement, je manque de confiance en moi…   Tu es championne d’Europe, championne du monde, médaillée olympique, et tu dis que tu manques de confiance en toi. Pourquoi un tel paradoxe? J’ai toujours fonctionné de cette manière, même dans la vie quotidienne. En fait, je suis perfectionniste, je cherche la flèche parfaite à chaque fois. Et comme, selon moi, cette flèche parfaite n’existe pas, je place la barre très haut avec des objectifs qui sont très difficiles à atteindre par rapport à mon niveau. Quand les bons résultats arrivent, la confiance remonte un tout petit peu; par contre, quand je fais une contre-performance, la confiance redescend totalement. Si tu préfères, je fais un pas en avant quand tout va bien, trois ou quatre pas en arrière quand rien ne va plus. Si je devais chiffrer mon niveau de confiance quotidien, je le place entre 60 et 70%...   Justement, n’est-ce pas cette part d’incertitude, ces 30 ou 40% restants, qui agissent comme un moteur qui te ferait avancer? Quelque part oui. Le jour où j’aurai totalement confiance en moi, je pense que je risque de faire mal. C’est-à-dire que le jour où « j’enlève la soupape du couvercle », comme on dit autour de moi, peu d’archères pourront me battre.   Tu as mentionné les archères coréennes. Quel regard portes-tu sur elles? En 2007, je voyais les archères coréennes comme des filles imbattables aussi bien individuellement que par équipe. A l’heure actuelle, lorsqu’elles sont toutes les trois dans leur équipe, elles sont quasiment imbattables. Par contre, lorsqu’elles sont seules, ce n’est plus la même chose. On arrive à les battre. La preuve, la championne olympique 2008 est une chinoise (ZHANG Juan Juan), la Coréenne PARK Sung-Hyun a perdu son titre olympique, elle avait également perdu la finale du Mondial en 2007 contre l’Italienne Natalia VALEEVA. Maintenant, on sait qu’on peut les battre, j’en ai battu une cette année… Elles me font beaucoup moins peur dans les épreuves individuelles que dans les épreuves par équipes.   A l’inverse, sais-tu ce que ces archères pensent de toi? C’est une très bonne question, car c’est précisément ce que je travaille avec Marc DELLENBACH, mon entraîneur: le regard des autres. Je me mets énormément de pression par rapport au palmarès de mon adversaire et je n’ai pas l’impression qu’elles agissent de la même manière que moi, au contraire. Quand elles tirent contre moi, j’ai l’impression qu’elles n’ont pas de stress, qu’elles tirent contre une archère qui n’a pas de palmarès. Depuis 2008, à chaque match que je fais, Marc me montre des « signes » sur mes adversaires, comme des tremblements, des difficultés à bien tirer les flèches, c’est-à-dire des signes que je ne percevais pas forcément. Je commence à prendre conscience que je fais peur aux autres même s’il me reste encore beaucoup à apprendre de ce côté-là. Concrètement, il faut que je me dise que cette peur est partagée entre mon adversaire et moi.    Est-ce que ça veut dire que tu dois plutôt travailler le mental que la technique? Je crois qu’on peut penser, naïvement peut-être, qu’une excellente archère comme toi n’a plus besoin de travailler sa technique de tir? Non, justement, c’est un peu tout le contraire. Surtout que le début de la saison actuelle est consacré à des changements assez importants dans ma technique de tir. Le but de ces changements, c’est d’être encore plus forte que l’an passé: j’entends par là d’être plus performante sur le plan physique, pouvoir tenir toute une saison même si elle est longue. Par exemple, avec la Finale de la Coupe du Monde fin septembre puis la Coupe d’Europe des Clubs dans la foulée, la saison a été relativement longue et donc difficile à tenir physiquement. Mais il n’y a pas que ça, c’est surtout sur le plan des performances sportives que cela devrait marcher, à savoir le fait d’arriver à commettre le moins d’erreurs possibles en cible. L’an dernier, j’avais plutôt travaillé sur la continuité et ma fin de geste, cette année je travaille sur le point de départ de ma séquence de tir. J’essaie que mon épaule soit basse dès le départ et qu’elle le reste, dans l’axe, tout au long de ma séquence. Grâce à ce mouvement, l’épaule sera tellement fixe qu’elle ne bougera plus. L’an dernier, mon épaule était juste un peu rentrée, sans être vraiment fixe: il suffisait d’un peu de pression, d’un peu de fatigue en fin de compétition pour créer quelques désordres au niveau de mon latéral en cible.   Ce travail technique spécifique t’aidera mentalement? Sans aucun doute. Si je suis plus forte et plus performante physiquement, le mental suivra nécessairement. Par exemple, dans le cas d’une flèche qui pourrait être un peu moins bien tirée que les autres et qui se plante dans le jaune à 70 mètres, c’est le mental qui prendra le relais sur les contraintes physiques et techniques. Certes, cette période actuelle de travail technique est difficile, il faut d’abord accepter tous ces changements. Ensuite, il faut que je retrouve de bonnes sensations, que je retrouve le chemin du jaune… Une fois que ces changements seront acquis et que les performances reviendront à un niveau nettement supérieur, forcément cela va jouer au niveau de mon mental et de ma confiance. Le but, c’est de gagner le plus de compétitions possibles, de battre de plus en plus de records ; il n’y a pas de soucis, je sais le faire. D’un autre côté, si les résultats ne viennent pas la saison prochaine, je suis tout à fait disposée à me reprendre, à faire des analyses, à travailler encore plus… De toute façon, l’objectif principal, ce sont les Jeux Olympiques de Londres en 2012 avec tous les curseurs – physique, technique, mental – à 100%  le jour J.    Passons à ta saison 2009, riche en médailles et en records, avec notamment un record du monde 2x18 mètres lors des Championnat du Monde en Salle en Pologne et une qualification pour ta première Finale de Coupe du Monde en tir extérieur. Peux-tu analyser ces grands moments? En salle, j’avais deux objectifs: être championne du monde et battre le record du monde. Au mois de février 2009, lors de mon championnat de Ligue (Bourgogne), j'ai fait 591 points sur 600 possibles, c’est-à-dire que j’ai égalé pour la deuxième fois de ma carrière le record du monde. J’avoue que cela m’a un peu embêtée de passer aussi près du but! Dans l’optique des Championnats du Monde en Salle, j’avais dit aux journalistes que Marc DELLENBACH et moi irions chercher le titre en leur promettant également que je battrais le record du monde. Je savais que tout le monde m’attendait sur ce championnat, étant donné mon palmarès dans cette discipline, et que la tâche ne serait donc pas facile à accomplir. Surtout que j’ai tendance à avoir des débuts de qualifications assez difficiles! Or, lors de la première volée des Championnats du Monde en Salle, j'ai commencé par un 30. Je commençais super bien! A la volée suivante j'ai fait 27, puis 28 à la troisième. J’avais déjà perdu 5 points en 3 volées… Je me suis dit que je ne ferais pas tomber le record du monde ce jour là. Marc m'a remise immédiatement dans le droit chemin: « Tu as fait tes deux bêtises, le championnat doit commencer maintenant pour toi. » Ensuite, j’ai enchaîné les 30. J'ai terminé à 294 sur 300 à la fin de première série, j’étais en 3e position. Le record du monde était très loin! A la fin des 6 premières volées de la deuxième série, j’étais sur le score parfait, c’est-à-dire à 180 sur 180. La calculette commençait à se mettre en marche (rires). J'ai fait un 9 à la 7e volée (29). Puis 30, encore un 30, il ne restait qu’une volée. J'ai repensé au record du monde, c’était encore jouable. Le niveau de pression était à son paroxysme! J'ai commencé par un 10, puis encore un 10… Quel stress! Il me fallait un 9. Crispée, j'ai fait un 9, le record du monde venait de tomber. Le premier objectif était validé. Lors des phases finales, j’avais déjà plus de mal à me remobiliser. J'ai perdu en demi-finale contre l’Allemande WINTER – celle qui allait devenir championne du monde – et j’ai eu beaucoup de difficultés à digérer cette défaite. Le lendemain, pour ma petite finale, j'ai retrouvé la Japonaise Nami HAYAKAWA: c’était la revanche des Championnats du Monde deux ans avant, où elle m’avait battue en finale. J’ai tiré ce match assez moyennement, je n’étais pas spécialement bien mobilisée… Elle a perdu ce match à la dernière volée, j'ai gagné d’un point: 115 à 114. C’est une bonne performance qui me laisse d’excellents souvenirs, même si mon rêve était de retrouver VALEEVA en finale. La saison en extérieur a commencé très vite après le championnat, trois semaines après avec la première manche de Coupe du Monde à Saint-Domingue (DOM). Tout s’est enchaîné, les records sont venus assez vite dans la foulée, je me sentais bien. Même si je savais que je devais faire des changements au niveau de ma technique, il fallait repousser ce moment à la fin de la saison. Cela ne m’a pas empêchée de battre le record de France avec 1361 points sur 1440, de battre le record de France 2x70 mètres avec 675 points en fin de saison à la Coupe d’Europe des Clubs à Madrid (ESP). Ce n’est pas si évident d’être encore performante au tir en extérieur en fin de saison, mi octobre. Il me semble que j’ai prouvé aux meilleures archères du monde qu’elles pouvaient se méfier un peu plus de moi en extérieur. J’étais classée en tête du classement de la Coupe du Monde avant la finale de Copenhague (DEN), même si je suis passée à côté de ce rendez-vous en terminant 4e. Le stress a beaucoup joué, c’était ma première finale et le fait de tirer au-dessus de l’eau était une situation totalement inconnue pour moi. Championne d’Europe de tir en extérieur 2008 Je ne pense pas me tromper en affirmant que les archers te sollicitent beaucoup. Il y a aussi les autres tireurs connus, évidemment, mais toi, peut-être un peu plus que les autres? En compétition, beaucoup d’archers viennent me voir, me poser des questions, me toucher la main aussi (rires)! En général je suis très ouverte, je ne vais pas refuser de signer des autographes, ni de répondre à des questions. C’est surtout une histoire de « limites »: quand je suis en plein milieu d’une compétition, il arrive parfois qu’on me sollicite. J’essaie de repousser ces demandes à la fin de la compétition. Globalement, le respect entre archers est bien là, après tout je suis, ou plutôt nous sommes tous des archers: chacun est concentré dans sa bulle tout en respectant la règle selon laquelle il ne faut pas interrompre un archer pendant sa compétition. Même si parfois le contraire arrive, il faut rester courtois. Je voudrais rebondir sur un exemple pris lors du tournoi en salle de Nîmes il y a deux ans, où j’étais tombée en finale contre l’Allemande Lisa UNRUH: tout le monde m’encourageait, toute la salle était derrière moi… En plus, Nîmes, c’est là où je suis devenue championne du monde en 2003, je suis un peu « la mascotte »! C’est une compétition où il y a pas mal de pression et quand tout le monde t’encourage, tu te dis « ouah, tu n’as pas intérêt à faire n’importe quoi, tout le monde te regarde, le public d’archers prend exemple sur toi en pensant que tu es géniale ». Je veux vraiment donner une bonne image de moi, même si ce n’est pas toujours parfait techniquement (rires)!   Voici maintenant une question qui n’a pas forcément de sens à l’heure actuelle, mais qui permet tout de même de faire une projection intéressante sur ta carrière sportive: à Londres, en 2012, tu deviens championne olympique. Qu’est-ce que cela t’inspire? (Elle réfléchit)… Je ne compte pas m’arrêter après les Jeux de 2012, quoi qu’il arrive. Etre championne olympique, c’est l’aboutissement d’un travail, des heures et des heures passées à l’entraînement, des heures de musculation, des heures de cardio. C’est la plus belle des récompenses, ne serait-ce que, déjà, d’avoir une médaille. La médaille d’or olympique, c’est la cerise sur le gâteau. Tu t’es donné à fond tout le temps de ta préparation et là, ça paie. En fait, il y a une chose qui m’énerve: c’est de repartir les mains vides après avoir passé le plus clair de ton temps à l’entraînement et à te donner à fond dans ta préparation. Et là, tu te poses un nombre incalculable de questions: « pourquoi tu n’as pas fait de médaille? », « qu’est-ce qui s’est passé ? », « est-ce que c’est moi ? », « est-ce que c’est la technique ? », « est-ce que c’est l’arc ? », etc. La vraie question, c’est de se demander comment rebasculer dans un schéma positif de réussite sportive avec des performances à la clef, de reprendre confiance en soi, dans sa technique, dans le matériel et j’en passe. Le jour des Jeux, si tu es à 100% sur tous les curseurs dont je parlais tout à l’heure, tu vas au bout. Tout ce que je dis n’a de sens que si on le considère au plan du sport de haut niveau. Selon moi, le but de tout sportif de haut niveau, c’est d’être champion olympique. Sinon, ça ne sert à rien, tu peux arrêter ton sport tout de suite. Après, je comprends tout à fait ceux qui pratiquent le tir à l’arc pour se détendre, pour se vider la tête après le boulot, pour le plaisir, ça aussi c’est important, mais c’est une autre facette du sport.   Propos recueillis par Jean-Denis GITTON (FFTA Communication) Photos Jean-Denis GITTON (FFTA Communication) Edité par Communication FITA