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Pierre-Julien DELOCHE : “Ma médaille d’or de Wroclaw n’est pas un aboutissement, c’est un début”
Que signifie pour toi cette finale à Paris ?
C’est le résultat d’une saison énorme, c’est une fierté immense de pouvoir être acteur d’un grand spectacle dans sa propre capitale auprès d’un public essentiellement français. Le Trocadéro est un écrin exceptionnel pour accueillir un tel événement : c’est un cadre magnifique chargé d’histoire qui donne une valeur supplémentaire à la performance des archers qui se qualifient, et qui offre un potentiel médiatique incroyable. Les archers au pied de la tour Eiffel, mondialement connue, c’est un moment que je ne risque pas d’oublier !
Que de chemin parcouru cette année ! Sur le papier tu sembles être en état de grâce, qu’en est-il de ton état d’esprit ?
Je me sens bien, enfin... “mieux” après mon début de saison chaotique en extérieur. Après une saison indoor sans faute jusqu’au titre européen, je voulais arriver à faire la transition sur la saison extérieure. Celle-ci comporte d’autres contraintes que j’ai dû assimiler avant de concrétiser le niveau indoor en extérieur. Mentalement, j’ai changé, et je suis passé du “pourquoi ?” au “pourquoi pas ?”.
J’ai travaillé très dur pour arriver à ce niveau, et il est temps de réciter mes leçons. Ce n’est pas un sprint final, mais le commencement d’une nouvelle étape : gravir les marches des podiums. J’aime ce jeu d’adversité amicale et respectueuse qui règne dans notre sport, et maintenant que j’ai gagné en expérience, je veux jouer au jeu des médailles !
Quels sont les éléments qui ont mené à tes bons résultats de 2013 ?
Dans le prolongement de 2012 où j’ai remporté ma première médaille individuelle du circuit international à la Coupe du Monde d’Ogden, je voulais que 2013 concrétise cette capacité à gagner. Avant 2012, j’avais beaucoup de travail dans la Marine nationale, je devais m’occuper de ma carrière militaire avant tout, et prouver que j’étais capable de réussir sur les deux plans, sportif et militaire.
Depuis, je suis militaire de carrière et breveté supérieur, et ce nouveau statut m’aura assuré un apaisement psychologique : la sécurité professionnelle et la reconnaissance de mes chefs. Suite à mon titre de champion d’Europe en salle début mars 2013, mon Commandant a reconnu mon niveau et m’a laissé aménager mes heures de travail et d’entraînement, sans contraintes de planning collectif et de travail nocturne, comme cela se passait les années précédentes. J’ai alors pu construire ma saison, presque comme un sportif professionnel.
Cette année 2013 est dense, il fallait trouver une solution qui n’entame ni ma saison ni mon travail. Avec la Coupe du Monde et sa Finale parisienne, les premiers Jeux Mondiaux pour l’arc à poulies et les Championnats du Monde, il fallait anticiper pour ne pas vivre un enfer psychologique entre la certitude de pouvoir réussir, et l’impossibilité de participer à ces compétitions, ou d’y être présent sans préparation suffisante faute de temps pour s’entraîner ! Donc, comme depuis le début, ma vie est une question d’organisation où je dois constamment garder un temps d’avance.
A mi-saison, en juin, j’ai dû tout reprendre techniquement. Tout y est passé, et j’ai réussi à revenir en juillet après trois semaines de “vacances” où j’étais tous les jours sur mon arc et sur moi pendant des heures. Les médailles par équipe à Antalya (bronze) et à Medellin (or) m’ont aidé à croire en moi, et les parcours individuels sont allés crescendo même s’ils ne payaient pas encore par une médaille.
J’avais misé gros sur les Jeux Mondiaux que je voulais réussir, et j’en ressors fort d’une médaille d’argent qui me chuchotait “tu as le niveau pour réussir”. Je n’ai jamais relâché mes efforts pour régler mon matériel de façon chirurgicale, et parfaire ma technique sur de longues heures d’entraînement. Mes proches m’ont poussé avec une énergie débordante, et m’auront aussi laissé toute l’atitude pour évoluer seul lorsque j’en avais besoin.
Est-ce que tu gardes les bonnes sensations de la médaille d’or de Wroclaw ?
Oui. Wroclaw est mon premier or mondial individuel et je suis très fier de l’avoir enfin remporté. Ma mère m’avait mis une phrase en tête il y a quelques années : “Si tu veux marcher cent mille kilomètres, avance d’abord d’un pas”… On est en plein dedans, et cette médaille d’or n’est pas un aboutissement, c’est un début. Mon vœu le plus cher est de pouvoir continuer sur cette lancée, avec d’autres victoires et d’autres expériences à transmettre plus tard. Pour rester dans l’actualité, je prends mon pied à tirer en ce moment, je repense à ces moments superbes de la saison, Nîmes, Las Vegas, Rzeszow, Antalya, Medellin, Cali, Wroclaw... Et ce regard en arrière m’aide à mesurer ce qui a été fait pour surfer encore jusqu’aux Championnats du Monde. Tout est en place, je suis prêt au bon moment pour me défoncer sur la fin de saison !
Qu’est-ce que tu retires de l’expérience de la finale 2012 à Tokyo en vue de celle de Paris ?
Quatre manches, quatre pays différents, une saison toute entière, sept archers... le chemin technique et psychologique est très long pour arriver à la Finale de la Coupe du Monde. L’année dernière était olympique, et l’arme qui n’était pas présente aux Jeux devait gérer cette trêve estivale avant de revenir à Tokyo.
J’ai beaucoup appris sur la gestion d’une saison entière, sur la particularité d’une finale à huit où l’on démarre directement en quarts de finale après trois mois sans compétition. Une finale est un environnement bien à part, le pas de tir est absolument superbe et chacun des archers est mis en valeur.
En pleine saison, chaque nation reste en équipe et peu de contacts internationaux se font. Sur la finale de Tokyo, j’ai découvert une ambiance “bon-enfant” très sympathique que j’aime beaucoup ; à huit archers, les liens se resserrent. Même si cet environnement favorise la performance, je n’avais cependant pas encore le calibrage psychologique que j’ai atteint cette année, ce qui m’aura coûté une défaite au premier tour contre mon ami Peter ELZINGA.
J’apprends beaucoup de ces défaites “à grande échelle”, je me prépare à perdre tout comme je me prépare à gagner. Tokyo est une grande expérience, Paris en sera une autre, encore à une échelle plus grande.
Tirer à domicile : comment trouver l’équilibre entre la motivation décuplée, et le risque de vouloir trop bien faire ?
Pour sûr, une Finale de Coupe du Monde dans une capitale, ma capitale, au pied d’un monument mondialement connu, des tribunes de 2’500 personnes pour la plupart francophones, et une plateforme médiatique importante... ça promet d’être chaud sur certains moments ! Malgré tout ce côté événementiel, ça va, et j’irai même jusqu’à dire que je me sens bien.
Le “trop bien faire”, je l’ai appris en tant que militaire, à vouloir être parfait et irréprochable ; j’ai ensuite appliqué ce modèle au tir à l’arc en me collant une pression phénoménale bien des fois, et pour finir, je me suis planté systématiquement ! Donc, je n’en veux plus et j’aborde les choses différemment désormais. Je veux profiter de ces instants et les croquer à pleines dents, les vivre avec légèreté.
Les finales seront spectaculaires, au pied de la Tour Eiffel, avec un monde fou, génial !!! Voilà ce qui change en clair, et j’adore être acteur d’un tel spectacle ; il y a du stress mais celui-là se gère, puisqu’il est mien. J’écris, je rêve, je pense beaucoup, et on me qualifie souvent de “cérébral”, je vis alors les finales comme une répétition en live de ce que j’ai déjà ressassé deux mille fois, sauf que je suis un acteur, pas un spectateur. Après, comme dans les films, il y a des fins heureuses et d’autres moins. Pour moi, c’est pareil, mais rien n’est jamais gagné... ou perdu d’avance !
Comment abordes-tu le premier match face à Sergio PAGNI, rival qui t’a battu plusieurs fois mais que tu as dominé en finale à Wroclaw ?
Sergio est un grand archer, un ami, et un adversaire redoutable. Il a souvent remporté des matchs contre moi, essentiellement en extérieur où il a plus d’expérience. En salle, nous avons tiré beaucoup de matches ensemble, et j’étais vainqueur bien des fois.
Je suis en train de construire ma route en extérieur, où les conditions météorologiques demandent une gestion plus précise de la technique d’un continent à l’autre, où l’exigence est plus haute et sur une période plus longue. Un match, 15 flèches, 18 minutes, nous avons tous un niveau très proche de l’excellence. La rencontre est très courte et tout peut se passer, nous pouvons très bien perdre beaucoup de points comme ne pas en perdre du tout.
J’aime bien cette petite rivalité sympathique qui se forme entre les archers au fil de nos confrontations parfois musclées. Avec Sergio, c’est comme ça aussi, c’est un coup de boost pour aller chercher le petit point de plus, ou le plus beau match possible dans une mise en scène spectaculaire !
Mon premier adversaire restera toujours moi-même, je n’aime pas le regret, et à Paris, mon but, en plus de gagner de l’expérience et peut-être une médaille, est de représenter au mieux mon sport, ma catégorie, et ma personnalité.
Plus que jamais, la Coupe du Monde de Wroclaw a montré toute l’importance du combat psychologique en arc à poulies (trois archers avaient tiré 150 points en demi-finale!). Qu’est-ce que ce jeu-là t’inspire ?
En 2010, la World Archery avait décidé de rapprocher la distance de 70 à 50 mètres avec le format hit/miss, puis avec le blason de 80 cm de diamètre. Je pense que le comptage de points réels est excellent pour l’arc à poulies : ce système augmente l’intensité des matchs, pour mettre en avant sa précision et donc la maîtrise psychologique des “acteurs”.
Ce n’est pourtant pas une distance facile : si les conditions se dégradent, la précision devient très rapidement aléatoire, alors que si la météo permet un tir plus précis, les performances seront vite serrées dans des scores frisant l’excellence. Dans les deux cas, les nerfs seront mis à rude épreuve, et encore plus lors des matches où le nombre de flèches est réduit. En Pologne, où les conditions étaient bonnes, Sergio PAGNI et moi avons tiré exactement le même nombre de 10 en une semaine de compétition, soit 133 flèches dans le centre sur 147 !
C’est un combat psychologique, et il me fait penser au tir en salle avec une contrainte supplémentaire : la météo. Le jeu n’est pas à celui qui réalisera le plus de points, mais à celui qui en perdra le moins ! Le “point de plus” coûte cher, et il est très difficile à gagner, car il représente un travail d’amont très pointu.
Lorsque je tirais à 70 mètres, j’étais encore “tout neuf” dans le haut niveau, c’est à force de compétitions internationales que j’ai forgé mon expérience. Lorsque nous sommes passés à 50 mètres, je me suis adapté en bon militaire, pour tester un nouveau jeu qui, au final, me plaît beaucoup. Les défaites sont plus amères encore, et les victoires plus croustillantes !!
Qu’est-ce que l’écriture de tes carnets de route t’apporte au niveau de l’approche mentale de ton sport ?
J’évolue au sein de deux milieux assez confidentiels : l’armée et le sport de haut niveau. On se doute de comment les choses se passent, mais sans jamais vraiment le savoir. Alors, en 2010, j’avais créé mon premier blog pour me lancer dans l’écriture de récits au sujet de mon actualité sportive et militaire. Le but premier était de pouvoir informer mes proches et amis de ma situation entre la terre et la mer. J’étais alors parti pour deux années de nomadisme intensif entre compétitions internationales et mutations militaires, et cette idée d’écrire m’est venue. J’ai étendu les sujets au fur et à mesure pour promouvoir au mieux mes sponsors, et je voulais aussi parler de mes réglages d’arc. Une fois le blog commencé, je ne pouvais plus revenir en arrière, et avec cette fâcheuse habitude de vouloir toujours bien faire, j’ai dû aller jusqu’au bout du détail, jusqu’à ce que le blog ne suffise plus...
Après deux ans d’existence, le blog rencontrait un succès tel qu’il a fallu songer à le faire évoluer en site web. Avec l’aide d’un ami, après quatre mois de travail, le site www.pjdeloche.com était en ligne ! En neuf mois d’existence, le site dépasse la barre des 50’000 visites !
Par le site, je voulais marquer mon approche sur les compétitions pour affirmer ma personnalité et ma façon de voir les choses. J’écris beaucoup, aussi avec ma plume sur de “vrais” carnets. Cette expression “carnet de route” colle parfaitement à ma volonté d’illustrer mon parcours : mélange de voyages, senteurs de papeterie, cuir de bagages, bruissements de flèches groupées en cible que je pourrais presque comparer au grattement de ma plume sur le papier. Par les mots, je crée mon univers. Je m’y plonge chaque fois que j’en ai l’occasion et j’y invite tous les lecteurs qui apprécient ces lignes. C’est un monde où je me retrouve au calme après tout le vacarme (cérébral) d’une compétition ou d’un sauvetage en mer. Ces carnets de route m’apportent beaucoup sur le plan mental, ils sont une aide précieuse et je m’y tiens. Mes lecteurs m’envoient de nombreux commentaires, et ils prennent soin de les construire, soucieux de préserver l’intégrité de mes carnets. Par eux, mes lignes ont un sens véritable, pour moi, elles ont une valeur. Ensemble, c’est à la fois une aide et un plaisir de partager ces moments inédits. Je pense souvent à ce que je vais pouvoir écrire alors que je suis en train de vivre quelque chose, cela me permet de m’en souvenir dans le moindre détail et de l’immortaliser, comme un patrimoine, “les écrits restent” !
Où en es-tu entre la possibilité de te consacrer à plein-temps à ton sport et ta carrière de militaire ?
C’est en cours, et cela prend du temps. Je ne fais jamais les choses à la hâte et c’est une décision importante à prendre, un choix de vie. 2013 est une année importante, comme un tremplin potentiel, alors que je suis toujours en activité de militaire et sportif de haut niveau. Je ne peux pas mener de front un troisième challenge, en lésant une saison sportive inédite avec les premiers Jeux Mondiaux arc à poulies, la Finale parisienne et les Mondiaux. Chaque chose en son temps ! Pour le moment, je suis dans le rush des compétitions.
Dans l’armée, j’étais sous contrat à durée déterminée jusqu’en janvier 2013, j’ai alors décroché le statut de militaire de carrière. Je bénéficie de la sécurité de l’emploi, toutefois, je ne me vois pas continuer cette carrière maritime toute ma vie car elle représente un certain nombre de contraintes opérationnelles et familiales. En treize ans, j’ai reçu douze affectations différentes dans trois régions maritimes. Depuis 2008 où je suis en équipe de France, les compétitions et permanences opérationnelles représentent jusqu’à 240 jours d’absence de mon domicile. Je cherche maintenant à me sédentariser. Mon but est de me rapprocher de mon noyau familial à Valence, dans les terres où je suis né.
Le tir à l’arc est une véritable passion où je suis certain de pouvoir apporter mon grain de sel, particulièrement en ce qui concerne l’arc à poulies. J’aime parler de mon sport pour le faire connaître et reconnaître. J’aime décortiquer le matériel pour le rendre plus performant, par le réglage ou par la création de nouveautés. J’aime transmettre, et je voudrais prendre le temps d’enseigner ce que j’apprends pour lire ce plaisir de tirer sur les visages des archers que je rencontre. J’ai 31 ans, et à ce moment de ma vie, je détiens une occasion en or pour faire de ma passion un métier qui me rapprochera de mes racines ! Enfin, dans ma tranche d’âge, l’expérience et la maturité sont des atouts majeurs pour la réussite à haut niveau, je le vois bien chez mes amis/adversaires internationaux, alors pourquoi pas moi ?
C’est donc toujours à l’étude et en bonne voie, j’attends des réponses sur la poursuite ou l’abandon pur et simple de l’aménagement des sportifs de haut niveau de la Défense, et pendant ce temps je place les choses dans les cases pour savoir comment professionnaliser ma passion, au sein de l’armée, ou en dehors. Après autant d’investissement, l’attention et le soutien que je reçois, mon niveau actuel sur le plan mondial, ma détermination et la question “comment je me vois plus tard”, je construis une base solide pour continuer à écrire mon histoire telle que je voudrais la lire plus tard !
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